MADIANA, de José Lemoigne (26/01/2016)

 

José Le Moigne, Ibis Rouge Edition, 2001.

 

Il s’agit donc de l’histoire de Rachel, rapportée par son neveu, des circonstances de sa naissance à la Martinique en juin 1903 jusqu’à sa décrépitude solitaire à Perpignan, quatre-vingt-quinze ans plus tard.


Cette fin de vie recluse dans un petit appartement sentant le rance serait à même de provoquer chez le lecteur l’apitoiement et l’attente du récit d’une existence tragique. Cependant, et pour une fois – en tout cas, pour moi -, ce n’est pas une histoire tragique : pas d’errances identitaires, ni de réminiscences esclavagistes ; pas d’enfants sans père – pas d’enfants du tout d’ailleurs -, pas de racisme – sinon sporadique, si bien que l’on peut compter ses manifestations au cours du récit, trois fois exactement - ou d’injustice.

 

Je n’ai d’abord pas été convaincue par ce personnage et son récit : chaque page que je tournais, j’attendais, ou je m’attendais à un drame à la sauce « Antillais en peine d’identité exilé dans une contrée à la fois sienne et autre ». D’autant plus que nous avons affaire à une femme. En bonne littéraire créole, j’attendais trahison, manipulation, honte, désillusion… comme on le trouve à foison dans la littérature de nos pays.


L’imaginaire antillais est fait d’ombre et de lumière, rien là de bien original, c’est l’essence même de l’humanité et du monde. Mais il faut croire que par chez nous, la tendance est d’occulter la lumière.


C’est avec une surprise à la fois peinée et gênée que je me suis rendue compte à quel point mon opinion de la littérature antillaise était dogmatique.

 

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Nous avons avec le roman de monsieur José Le Moigne, l’histoire, pour le coup originale, d’une Antillaise, peut-être plus obstinée que beaucoup de ses congénères, avec des ambitions, de la poigne et qui réussit non seulement à atteindre ses objectifs mais à vivre en harmonie avec son entourage.

 

Certes, on peut trouver que Rachel joue un peu trop bien le rôle glorieux de la victime toujours dans son bon droit qui ne se laisse pas abattre : bien que persécutée par sa mère, sa belle-mère, puis quelques cuisinières dans les familles où elle travaille, bénie des dieux, elle trouve à tous coups une bonne âme qui la tire d’affaires, et éveille indéniablement autour d’elle affection, admiration et respect. D’autant plus que, comme de bien entendu, c’est une beauté.


On peut également lui reprocher une certaine versatilité de cœur puisque si, à un point de son récit, elle affirme le grand bonheur qu’elle a connu dans une famille, l’instant d’après elle la quitte sans un regard en arrière pour des raisons qui, finalement, n’ont guère de poids.


Enfin, cette fascination qu’elle montre vis-à-vis de la haute société - voire de la noblesse, même déchue, ceci par le biais de son époux - et qui laisse deviner son opposé, un certain mépris pour tout ce qui n’est pas la bourgeoisie - et j’ai envie d’ajouter blanche - finit, à force d’être systématique, par devenir problématique.


Mais il est encore possible de mettre tout cela sur le compte de la subjectivité : après tout, c’est Rachel qui raconte son histoire, qui rapporte son autobiographie, à la fois, donc, étalage de soi et mensonge, et la vieille femme, abandonnée et incontinente peut bien se faire héroïne absolue. Ce qui en soi justifie tous ses actes passés.

 

Madiana reste un roman à lire pour l’écriture claire, directe et sans fioritures, à l’image de son personnage.


A lire également pour son objectif simple, relater l’histoire d’une vie, sans arrière-pensées ni leçon de morale : il s’agit de prendre le texte tel qu’il est, sans chercher le symbole sous la toile, et son héroïne, avec ses qualités et défauts, sa générosité et ses dents longues. Rachel est une force en mouvement, que l’on accepte ou non, mais qui avance malgré nous. Ni Rachel, ni nous, lecteurs, ne sommes là pour résoudre la quadrature du cercle ; et ce n’est certainement pas l’ambition du neveu.


Au regard de tous ceux que j’ai déjà croisés, Rachel est un personnage résolument positif, mais je n’irai pas jusqu’à dire optimiste puisqu’au bout du compte, sa puissance de vie ne l’a pas préservée de la solitude de la vieillesse décrépie et tyrannique.


Si je trouve cela un peu triste – pas pour le roman, mais parce que toute vieillesse solitaire est triste -, cela ne me paraît pas illogique pour autant : à force de vivre et de résister, on finit inévitablement par se retrouver être celui qui seul demeure afin d’éteindre la lumière de sa génération.


Et je n’ai surtout pas pitié de la vieille dame : une incontinente presque paralysée qui trouve le moyen de danser la biguine sur un trottoir n’appelle pas à ce genre de sentiment et ne l’accepterait certainement pas.

 

Sylvia Placoly.




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